La LAPHO : Dans l'optique des personnes handicapées
11e conférence annuelle JOIN à l'intention des employeurs
2014 – Exposition sur l'accessibilité de la FPO

Michael Gottheil, Président exécutif, Tribunaux de la justice sociale Ontario
Toronto, Ontario, Décembre 2014


Introduction

Je tiens à remercier l'organisme JOIN et le Bureau de la diversité de la fonction publique de l'Ontario (FPO) de m'avoir invité aujourd'hui. Je souhaite féliciter l'organisme JOIN pour l'organisation de la 11e conférence annuelle sur le recrutement et l'inclusion des personnes handicapées à la main d'œuvre.

Je me sens très honoré d'avoir été sollicité pour prononcer le discours liminaire au cours du dîner. Je suis également honoré et empli d'humilité de figurer parmi les dignitaires du programme, avec les ministres Duguid et Orazietti, ainsi que l'honorable Jean Augustine. C'est la première fois de ma vie que je suis considéré comme un dignitaire. En effet, si vous recherchez mon nom sur Google, vous constaterez que je suis mentionné dans des circonstances moins dignes. Comme « incompétent », comme un « bureaucrate non élu doté de pouvoirs draconiens », et mon surnom favori – « Michael Gottheil, président du Tribunal ou parrain de la mafia ? » Ce dernier qualificatif au moins a été utilisé dans le cadre d'une question, plutôt que d'une déclaration définitive.

Tout ceci pour dire qu'après tant d'années, mes chances semblent augmenter.

Lorsqu'il m'a été demandé de prendre la parole dans le cadre de ce magnifique événement, et que j'ai été informé du thème de cette année, j'ai eu du mal à me décider sur les sujets que j'allais aborder. En tant qu'avocat et président de la Commission des droits de l'homme (et parrain de la mafia), j'ai pensé que je pouvais parler du droit, de ses exigences et des sanctions en cas de non-conformité. Mais j'ai ensuite examiné le programme et constaté qu'il regorgeait de telles informations. J'ai alors pensé à parler de la valeur de la diversité et de l'inclusion, et de la manière dont le fait de faciliter l'accès à nos lieux de travail et services représente un choix logique sur le plan économique, renforce nos collectivités, et enrichit essentiellement notre vie individuelle et collective. Mais une fois de plus, j'ai réalisé que je serais en train de prêcher des convertis. En effet, cette conférence et cet organisme réunissent des personnes qui savent ces choses, respectent ces valeurs, et sont les auteurs et garants de ces principes.

J'ai donc décidé d'approfondir ma réflexion, afin de trouver des questions auxquelles j'ai moi-même pensé récemment, en tant qu'avocat, personne handicapée, et personne dévouée, comme tout le monde dans cette salle, à créer une société plus inclusive, juste et riche. Et j'ai décidé d'opter pour ce titre :

Réflexions sur la complexité du handicap : Énigmes, mystères et dilemmes

Vous pensez probablement que le sujet est un peu lourd pour un discours pendant le dîner. Ça l'est. Et c'est correct. Nous sommes ici aujourd'hui pour apprendre et explorer. Alors, considérons qu'il s‘agit d'une pause-repas active plutôt que passive.

Avant de commencer, veuillez me permettre d'expliquer pourquoi j'ai opté pour ce titre, afin que vous sachiez quel est mon objectif. Premièrement, « Réflexions sur la complexité du handicap ». Si vous rédigez un article ou faites un exposé, utilisez le terme « réflexions » dans le titre. C'est un terme magnifique. Il laisse entendre que vous allez présenter des idées profondes et riches, toutefois, il ne sous-entend que très peu de cohérence et d'intelligibilité. À la fin de l'article ou de l'exposé, si votre public s'interroge toujours sur ce que vous essayiez d'expliquer, ce n'est pas grave, c'était juste un tas de réflexions. Elles n'avaient pas besoin d'avoir du sens.

« Complexité du handicap » – cette expression est en réalité profonde et vraie. Le handicap (la réalité et le concept), peut être complexe pour les personnes handicapées et les personnes qui travaillent avec elles, leurs familles, leurs amis et de parfaits étrangers. Dans notre démarche, qui consiste à supprimer les obstacles, créer une société plus diversifiée et inclusive, nous devons prendre conscience du fait que l'aspect physique ne représente qu'une partie du parcours. Les obstacles comportementaux, les perceptions et les autoperceptions doivent également être abordés. La façon dont nous interagissons et dont nous nous percevons peut parfois être encore plus difficile.

Ce qui nous amène ensuite aux termes « Énigmes, mystères et dilemmes ». J'adore ces termes. Est-ce que quelqu'un sait quelle est la définition de ces termes dans le dictionnaire? Vous n'avez pas à le savoir. Énigmes et mystères – ces termes tirent leur signification tout simplement de la manière dont ils résonnent. Cependant, il est important de se rappeler que même s'ils mettent en exergue des sentiments et des questions difficiles, complexes et déroutants, ceux-ci ne doivent pas nécessairement être résolus ou rapprochés. Ils doivent plutôt être reconnus, examinés et traités.

Permettez-moi donc d'aborder trois de ces perplexités :

L'énigme portant sur l'identité

Il s'agit de ce qu'est le handicap, comment il est perçu dans la société, et pour ce qui est des personnes handicapées, comment nous nous percevons, nous nous identifions.

Il ne s'agit pas d'une nouvelle énigme. Nous avons tous écouté des exposés sur cette énigme pendant des années. Est-ce que nous nous identifions comme des personnes handicapées ou comme des personnes avec des aptitudes différentes? Le handicap est-il une affection grave ou un concept social? L'expression « besoins particuliers » est-elle une étiquette appropriée ou dégradante?

Et quel est le but ultime de nos efforts? Souhaitons-nous être comme les autres, nos handicaps n'ayant pratiquement aucune incidence sur la façon dont nous interagissons avec notre milieu, ou est-ce que nos handicaps font partie intégrante de notre identité, et nous souhaitons que ce fait soit reconnu?

Il est difficile, et peut-être en définitive, impossible de répondre à ces questions. Ces questions sont néanmoins importantes, car elles ont un impact sur la façon dont nous interagissons en tant que personnes handicapées, personnes sans handicap, personnes qui ne présentent pas encore de handicap, et personnes qui en présentent, mais ne se considèrent pas ainsi.

En ce qui me concerne, je me suis efforcé de répondre à ces questions. Dans ma vie et ma carrière, je ne souhaite pas être défini par mon handicap, toutefois je me définis, du moins en partie, comme une personne handicapée, et ce, de manière positive. Laissez-moi m'expliquer. Je souffre de RP, une maladie dégénérative de la rétine. De même que pour la DMA, d'énormes progrès ont été faits dans le cadre de la recherche pour soigner et guérir la maladie de la rétine. Parfois, des personnes m'appellent ou m'envoient un courriel accompagné d'un article sur le dernier traitement. Je me demande, voudrais-je être guéri. Mon handicap est une composante fondamentale de mon identité. Comment savoir si je serais mieux si je n'avais aucun handicap. Je ne le sais pas, et au vu des difficultés et des déceptions, je chéris les points de vue et les idées que j'ai développés.

Le mystère lié à l'inspiration

Les personnes handicapées sont souvent source d'inspiration pour les autres. Est-ce valable? Est-ce positif, ou condescendant et dégradant? Je ne sais pas.

Il y a quelques années, je traversais l'aéroport Pearson, à l'aide de ma canne, me dirigeant vers la sortie pour emprunter un taxi et aller à la maison. Alors que je dépassais un homme, il a crié « Que Dieu vous bénisse. Je ne peux pas me déplacer aussi rapidement. » Nous avons échangé quelques plaisanteries et avons emprunté chacun des chemins différents. J'ai toujours eu des souvenirs positifs de cette expérience, jusqu'à il y a quelques mois, où j'ai écouté un entretien avec Erik Weihenmayer, l'aventurier et alpiniste aveugle. Vous avez probablement entendu parler de lui, c'est la première et unique personne aveugle à avoir escaladé sept sommets; les plus hauts sommets de chacun des sept continents, y compris le mont Everest. Son avis a été sollicité sur le fait que les personnes handicapées soient considérées comme une inspiration, et en particulier sur le terme « pornographie de l'inspiration », qui a été inventé par l'activiste australienne pour les droits des personnes handicapées, Stella Young. Il a déclaré: « Ce que j'essaie de faire c'est de promouvoir le message selon lequel nous sommes tous dans le même bateau, nous faisons tous face à des défis. Nous devons tous trouver des moyens de les relever, et trouver notre but dans la vie. »

Cela semble parfait, mais cet entretien m'a amené à commencer à m'interroger. J'ai écouté l'entretien que Stella Young a accordé à TED sur YouTube, et lu les différents avis suite à cet entretien. Elle a inventé le terme « pornographie de l'inspiration » en réaction à une pratique croissante sur les réseaux sociaux qui consiste à publier des photos de personnes atteintes d'un handicap, accompagnées de sous-titres inspirateurs tels que « le seul handicap dans la vie est une mauvaise attitude » ou « vos excuses sont votre handicap ». Ces publications visent à inspirer les personnes atteintes d'un handicap. Le message est que si ces personnes peuvent affronter le quotidien, alors elles n'ont pas d'excuse. Le problème, comme l'affirme Stella Young, est de savoir ce qu'il en est si vous êtes cette personne?

L'objectivation des personnes handicapées, les présentant comme des emblèmes pour véhiculer des messages inspirants, est problématique. Elle témoigne des préjugés à propos des capacités et du potentiel des personnes handicapées. Et elle sous-estime les capacités de ces personnes. Quel message renvoie-t-elle, par exemple à un employeur potentiel, lorsqu'on considère comme réalisation remarquable le fait que je puisse me déplacer tout seul de la porte d'embarquement de l'aéroport à la station de taxis.

Stella Young parle également d'une expérience qu'elle a vécue, lorsqu'une voisine est venue vers sa mère et lui a dit qu'elle souhaitait la mettre en nomination pour un prix de reconnaissance communautaire. Sa mère a répondu: « c'est très gentil, mais elle n'a vraiment rien réalisé d'extraordinaire. C'est un enfant ordinaire. »

Malgré tout, les personnes handicapées font face à des difficultés au quotidien, particulièrement à cause des obstacles qu'elles rencontrent. C'est bien que cela soit reconnu, et si cela inspire des personnes, alors tant mieux. Enfin, ce n'est peut-être pas l'inspiration que les personnes handicapées peuvent offrir, mais un aperçu de la façon d'affronter les obstacles, de l'ingéniosité, de la détermination et de la collaboration. Cependant, comme l'a déclaré Stella Young, attendez que nous accomplissions réellement quelque chose.

Le dilemme lié à l'élimination des obstacles

C'est une question épineuse. Elle est multidimensionnelle. Essentiellement, la question est celle-ci : en tant que personne handicapée, lorsque vous êtes confronté à un obstacle, que faites-vous? Est-ce que vous vous exprimez ou l'ignorez? Est-ce que vous vous en accommodez ou revendiquez vos droits?

Est-ce que vous déposez une requête relevant des droits de la personne ?

Si vous vous exprimez, comment procédez-vous? Poliment? Affichez-vous votre frustration et lassitude, et oui, colère parfois? Tenez-vous compte de l'impact de vos actions sur les autres? En tant que personne handicapée, c'est un dilemme constant : dire quelque chose de manière à embarrasser probablement la personne directement ou indirectement à l'origine de l'obstacle et de ses conséquences. En général, cette autre personne est un être humain très sympathique, simplement inconscient et distrait.

En tant que personne handicapée, vous vous inquiétez toujours du fait de mettre la personne non handicapée mal à l'aise, de l'embarrasser ou de la faire paraître insensible. J'ai toujours l'impression de devoir gérer en même temps mes sentiments et ceux de l'autre personne.

Et bien sûr, vous pouvez vous inquiéter d'être ensuite traité de fauteur de trouble, de nuisible ou de ne pas être coopératif.

Ou vous pouvez simplement en avoir marre d'affronter ces obstacles jour après jour. En dépit des meilleur(e)s intentions et efforts, nous avons encore du chemin à faire.

Permettez-moi de vous donner un exemple illustrant l'origine de ces questions embarrassantes et dilemmes émotionnels.

Il y a quelques jours, j'ai reçu un courriel du ministère, avec en pièce jointe une série de diapositives PowerPoint. Curieusement, le titre du diaporama était « Définir une vision future pour le système judiciaire ». La diapositive n'était pas accessible. Alors, qu'est-ce qui m'a traversé l'esprit à ce moment? Eh bien, ce que j'appelle « les six étapes pour affronter les obstacles » : colère, frustration, lassitude, étonnement, détermination et action.

Ce qui est intéressant à propos de ces étapes est qu'elles ne sont pas mutuellement exclusives et ne sont pas linéaires. Vous pouvez les expérimenter les unes après les autres, dans n'importe quel ordre ou toutes à la fois.

(Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse. Les six étapes pour affronter les obstacles peuvent être juxtaposées avec les trois étapes merveilleusement exaltantes d'une expérience exempte d'obstacles et accessible : surprise, appréciation et satisfaction.)

Que s'est-il donc produit? Premièrement, je me suis demandé si cela voulait dire que le futur de la justice n'intégrait pas les personnes handicapées. Puis j'ai pensé, après 10 ans de service à la FPO, pourquoi cela arrive? Ai-je fait quelque chose de mal? Ai-je offensé les autorités en place? Dois-je offenser les autorités en place?

J'ai pensé à la conduite à tenir : dois-je la transmettre à mon assistant(e) afin qu'il(elle) la convertisse en format accessible? Dois-je la renvoyer au ministère et demander une version accessible, en faisant part de ma frustration et ma déception de recevoir cela après 10 ans de service? J'ai opté pour la dernière option, mais évidemment sans quelques appréhensions. Car le fait de leur signifier leur erreur allait, je le savais, énormément embarrasser certaines personnes. Et c'est un dilemme, car les personnes handicapées sont censées être polies et respectueuses. À défaut, nous pourrions ne pas être recrutées, ou être congédiées pour manque de professionnalisme ou pour avoir été source de problèmes. En d'autres termes, nous sommes censés gérer nos sentiments et les vôtres. Il faut le faire!

Au final, cette expérience s'est avérée être positive, ou du moins depuis lors, il faut attendre jusqu'à 18 mois pour renouveler mon mandat

J'ai reçu une copie accessible, et vraiment bien élaborée; pas juste une version texte, mais accompagnée de descriptions des graphiques. C'était vraiment impressionnant, et c'est l'un des meilleurs documents accessibles que j'ai jamais vu.

Conclusion

Alors où en sommes-nous? Plus important encore, quels sont nos objectifs à ce jour? Que pouvons-nous tirer de ces énigmes, mystères et dilemmes, qui puissent nous aider à évoluer vers une société inclusive et sans barrières?

Premièrement, reconnaître et accepter que le handicap est complexe. F. Scott Fitzgerald a prononcé cette phrase célèbre : « La particularité de l'intelligence supérieure est la capacité de faire face à deux idées divergentes en même temps sans devenir fou ». Il est difficile de répondre à ces questions, et comme je l'ai dit précédemment, c'est parfois carrément impossible. Les personnes sont des êtres complexes. L'interaction sociale est complexe. Le handicap constitue un élément essentiel de ces deux notions.

Deuxièmement, nous sommes dans un parcours, mais qui n'est pas linéaire et qui ne sera pas achevé d'ici 2025. L'égalité et l'inclusion n'arriveront pas par magie lorsque toutes les normes de la LAPHO auront été élaborées et mises en œuvre. Des années d'attitudes, de préjugés, de perceptions et d'autoperceptions ancrés ne disparaissent pas du jour au lendemain. La LAPHO et le Code sont des composantes nécessaires, mais pas suffisantes pour parvenir à une société équitable et inclusive.

Troisièmement, le parcours en lui-même est enrichissant et louable. L'une de mes réflexions favorites est inspirée d'Ursula Franklin, célèbre physicienne canadienne : Une société véritablement juste est comme un repas-partage; chacun apporte quelque chose et chacun obtient quelque chose. Quelle magnifique image. Un endroit où tout le monde est bienvenu, est encouragé à contribuer, et où chaque contribution est valorisée. C'est l'idée selon laquelle notre expérience individuelle et collective est enrichie grâce aux différences. Il s'agit d'explorer nos forces et nos faiblesses, comment chacun de nous surmonte les obstacles : c'est cela qui est inspirant.



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